C’est une idée tenace : les femmes ne seraient pas atteintes d’hémophilie. Elles n’en seraient que conductrices à la manière de la reine Victoria et n’auraient donc aucun des symptômes liés à la maladie des rois.

Grâce à leurs deux chromosomes X, elles échapperaient à l’anomalie génétique qui cause la déficience en facteurs de coagulation liés à la maladie. Leur chromosome X sain pourrait, en effet, “prendre le relais” sur celui porteur de l’anomalie quand cela est impossible chez les hommes qui ne possèdent qu’un chromosome X. Elles seraient alors porteuses de la maladie mais totalement asymptomatiques.

Et pourtant… Hémophilie et femme ne sont pas des antonymes. En effet, si les cas de “conductrices symptomatiques” sont rares1, ils sont bel et bien réels. Avec des symptômes bien réels également. Explications.

Les femmes également touchées

Le gène responsable de l’hémophilie est présent dans le chromosome X. C’est ce qui fait que les hommes, puisqu’ils n’en possèdent qu’un seul, sont forcément hémophiles symptomatiques. 

Du fait de leur paire de chromosome X, les femmes échappent plus facilement à la maladie. Le chromosome sain compensant celui atteint. On parle alors de femmes “conductrices”. Cela signifie que, si elles n’expérimentent aucun symptômes liés à la maladie, elles ont 50% de “risques” de transmettre le gène défectueux à leur descendance. Et 50% de ne pas le transmettre2

Mais, tout n’est pas aussi simple ! Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’une femme soit “conductrice symptomatique” : 

  • Il peut arriver que le second chromosome X n’arrive pas à compenser parfaitement. On dira alors que le gène s’exprime partiellement ou qu’il ne s’exprime pas du tout. Ces femmes ressentiront alors les symptômes d’une hémophilie mineure ou modérée quand elles sont, dans les faits porteuses d’une hémophilie sévère3
  • Si la femme est atteinte du syndrome de Turner, maladie génétique qui fait qu’elle ne possède qu’un seul chromosome X, ici porteur du gène anormal4
  • Si elle a reçu de sa mère comme de son père un chromosome X déficient. Dans ce cas bien précis, aucun des deux n’est capable de compenser étant donné que chacun est porteur de l’anomalie5.

Les symptômes de l’hémophilie chez la femme

Mais alors, pourquoi l’idée que les femmes ne peuvent pas être hémophile a autant la vie dure ? Si la rareté des cas joue pour beaucoup dans la persistance de ce biais, les symptômes, quelque peu différents et atténués par rapport aux hommes, y participe également. 

En effet, si la plupart des symptômes restent les mêmes (saignements spontanés, hématomes, hémorragies, hémarthroses…) que ceux d’un homme souffrant d’hémophilie faible ou modérée6, certains symptômes, bien spécifiques au corps féminin sont à ajouter à la liste7.

Règles abondantes ou prolongées

De manière logique, mauvaise coagulation, autrement dit difficulté à créer un caillot pour stopper un saignement, et menstruations ne font pas bon ménage.

Des règles particulièrement abondantes (à partir de 80ml par cycle)8 ou qui perdurent au-delà de 7 jours, sont donc souvent le premier signal d’un potentiel trouble de la coagulation. Ces saignements aussi appelés ménorragies, particulièrement abondants lors des premières menstruations nécessitent un suivi et un contrôle régulier pour éviter tout risque d’anémie9.

C’est pourquoi on conseille chez les jeunes femmes entrant dans la puberté et ayant déjà été diagnostiquée comme “conductrice” ou “hémophilie” d’être suivies de manière régulière pendant cette période sensible10.

Bon à savoir : pas facile de savoir si ses règles sont trop abondantes. C’est pourquoi le score de Higham a été inventé. Il permet de connaître l’abondance de ses menstruations grâce aux nombres de protections utilisées pendant le cycle menstruel11.

Règles douloureuses

Autre face d’une même pièce, chez les femmes souffrant de troubles de la coagulation, dont l’hémophilie, les menstruations sont souvent beaucoup plus douloureuses. On parle alors de dysménorrhée

Cette douleur qui peut s’accompagner de migraines, de troubles digestifs, de nausées et de crampes pouvant aller jusqu’à irradier les jambes peuvent survenir 1 à 3 jours avant les règles ou apparaître avec celles-ci. Elle trouve son pic 24 heures après le début des menstruations et s’atténue, petit à petit après 2 à 3 jours12.

Important à savoir : les femmes souffrant de troubles de la coagulation peuvent également souffrir de saignements entre leurs cycles, notamment au moment de l’ovulation. Ces pertes sont sources de douleurs pelviennes, utérines et abdominales aussi appelées “douleur du milieu” du mot allemand “mittelschmerz13. Loin d’être anodines ces douleurs du milieu nécessitent un suivi d’urgence et, parfois même des interventions médicales. Si tel est (peut-être) votre cas, consultez votre médecin et ou votre gynécologue14.

Saignements périménopausiques

Entre les toutes premières règles et la ménopause qui marquent leur arrêt définitif, se trouve une période de floue. Celle-ci survient entre trois à dix ans avant la ménopause et se caractérise par la “transition” des différentes hormones. On parle de “périménopause15

Cette période se caractérise souvent par de nombreux troubles gynécologiques, plus ou moins graves, plus ou moins handicapants : fibromes, polypes mais aussi règles plus irrégulières et souvent plus abondantes16. 

Chez les femmes souffrant d’hémophilie, ces saignements peuvent se transformer en véritables hémorragies. Un suivi régulier, par exemple avec le score de Higham, peut donc se révéler particulièrement bénéfique.

Kystes ovariens

En période d’ovulation, un certain nombre de femmes sont sujettes aux kystes ovariens fonctionnels. Si ceux-si sont dans la plupart des cas, bénins, indolores et qu’ils disparaissent d’eux-même (70% des kystes fonctionnels disparaissent au bout de 6 semaines, 90% en 3 mois17), il peut arriver que les choses se compliquent quelque peu.

En effet, il peut arriver que ces kystes se rompent, se tordent et se mettent à saigner. Ils deviennent alors des kystes hémorragiques. Ce risque augmente chez les femmes atteintes d’hémophilie. Très douloureux, les kystes hémorragiques peuvent nécessiter une intervention médicale18.

Endométriose

Affliction qui touche une femme sur 1019, l’endométriose est une maladie gynécologique chronique qui entraîne le développement de la muqueuse utérine (endomètre) en dehors de celui-ci. L’endomètre vient alors se greffer, entre autres, sur les ovaires, les ligaments, le rectum, le vagin et la vessie20. Puis, réagissant aux hormones, il va se mettre à saigner dans les différents endroits où il se trouve à chaque menstruation provoquant des dysménorrhées21 ainsi que de nombreux autres symptômes handicapants.

La grossesse et l’accouchement

Faire un enfant n’est pas toujours une décision facile à prendre. Cela l’est encore moins quand on est une femme conductrice asymptomatique ou symptomatique. 

Peur de transmettre la maladie à sa descendance, jugements de la part des proches, sentiment de culpabilité, inquiétudes sur la manière de combiner hémophilie et grossesse sont autant d’angoisses partagées par un certain nombre de femmes atteintes d’hémophilie22. Autant d’inquiétudes et d’interrogations qui rendent difficile de se projeter dans une grossesse. 

Pourtant, une femme hémophile, conductrice asymptomatique ou symptomatique peut tout à fait décider d’avoir un ou plusieurs enfants

Cette ou ces grossesses ainsi que chacun des accouchements doivent simplement faire l’objet d’un suivi particulier pour s’assurer que la mère, comme l’enfant à naître se portent bien.


M-FR-00006523-1.0- Etabli en avril 2022


Sources