Depuis 35 ans, Annie Bordel Deron, hématologue au CHU de Caen, concentre son activité autour de l’éducation thérapeutique. Selon elle, l’hémophilie a connu une évolution fulgurante en termes de qualité de vie, de traitement et de prise en charge. Même si la maladie rencontre des idées reçues et des incompréhensions, le travail de Annie Borel Derlon participe à améliorer la vie des patients et leur rapport à l’hémophilie. Elle nous raconte son parcours au travers des mutations de la prise en charge.
“Les choses ont considérablement évolué au cours des 20 dernières années, parce que les traitements se sont multipliés.”
L’éducation thérapeutique, c’est quoi ?
Particulièrement adaptée à la maladie chronique, l’objectif de l’éducation thérapeutique est multiple :
- aider le patient à appréhender la maladie et sa prise en charge
- transmettre les bonnes pratiques pour qu’il puisse au mieux suivre son traitement
- accompagner le malade à chaque étape de l’évolution de sa maladie.
Désigné comme un enseignement qui rentre dans le parcours de soin, c’est aussi le moyen pour les patients d’obtenir une certaine indépendance des équipes de soin. Elle est vraiment adaptée à la maladie chronique puisqu’elle aide au quotidien. Et souvent, la première étape pour un patient, c’est d’accepter la maladie, et cette acceptation passe bien souvent par la connaissance et la maîtrise de sa propre pathologie et de son traitement.
Pour cela, une infirmière travaillant de longue date avec le Dr Borel Derlon, Patricia Guillon, allait même faire des formations à l’école sur l’hémophilie, afin de faire comprendre la maladie aux enfants mais aussi aux enseignants. Les professeurs d’école ont souvent peur que les enfants se fassent mal, ils limitent donc leurs activités, parfois même en les laissant dans la classe à la récréation. C’est donc important que tout le monde ait le même niveau d’information.
Une perception péjorative de l’hémophilie
Avec l’affaire du sang contaminé, l’hémophilie a eu mauvaise presse et des idées préconçues et des amalgames ont cristallisé une vision erronée de la pathologie. Certains parents entendent encore ‘sida’ lorsqu’on leur annonce un diagnostic d’hémophilie. Enfin, il n’est pas rare que cette maladie soit ‘cachée’ par peur du regard des autres. Tous les parents ou presque ont dû supporter un doute d’enfant battu par une nounou, des proches ou même l’équipe médicale.
Annie Borel Derlon évoque comme il est parfois difficile d’évoquer la maladie, surtout avec les parents. Tout d’abord parce que l’hémophilie est héréditaire, alors il y a toujours une part de culpabilité chez les parents, ainsi qu’une peur lors d’une seconde grossesse par exemple.
“Cette image d’enfant battu, c’est quelque chose par lequel passent toutes les mamans. On apprend à l’enfant et aux parents à expliquer l’hémophilie, pour ne pas avoir peur d’en parler.”
Une relation soignant-soigné privilégiée
Annie Borel Derlon a senti ce besoin pour elle et ses patients, de se connaître aussi en dehors des quatre murs de l’hôpital. Elle crée donc dans les années 90, des stages d’éducation thérapeutique à destination des enfants et jeunes adultes vivant avec l’hémophilie, un concept unique et précurseur.
Quitter le milieu hospitalier pour se retrouver
En rupture totale avec les internats qui se faisaient à l’époque, ces centres d’accueil à la mer permettaient aux enfants de partir pour la première fois sans leurs parents et de découvrir une nouvelle autonomie.
Sur la base de stages d’une semaine, Annie Borel Derlon propose aux enfants de s’échapper de l’univers de l’hôpital afin d’aborder avec eux plusieurs aspects du quotidien qui pouvaient leur être interdit du fait de leur maladie. Le fait de changer de cadre permet aux patients d’être beaucoup plus réceptifs. En plus, en tant que médecin, Annie Borel Derlon a pu les voir marcher et observer comment ils avaient envie de jouer sur la plage ou la place des sports nautiques dans leur vie.
Du côté patient, c’était le moment de faire un état des lieux sur leur autonomie vis-à-vis de leurs parents : ce qu’il faut emporter en voyage, comment se préparer en amont, prévoir sa trousse de secours, etc.
“De les voir marcher sur la plage, s’amuser et apprendre : c’était terriblement enthousiasmant !”
L’activité physique adaptée pour dédramatiser
Pour bien vivre son hémophilie, il y a le fait de se faire ses propres injections, afin de se réapproprier son corps. Mais cela passe aussi par faire du sport, se muscler et apprendre les activités physiques compatibles avec sa pathologie.
Annie Borel Derlon explique comment le cirque lui a permis de mettre en place une activité physique adaptée avec ses patients. Pour elle, le cirque a la particularité d’être ludique et intéressant tout en musclant, elle l’a donc intégré aux stages, en faisant rencontrer des jongleurs et acrobates aux jeunes. Cette activité leur offre une meilleure insertion scolaire dans l’enfance pour ensuite avoir une meilleure insertion dans le domaine professionnel.
“Il faut qu’ils puissent se muscler en s’amusant.”
Une évolution encourageante
En 20 ans, Annie Borel Derlon explique que l’espérance de vie des personnes vivant avec l’hémophilie a considérablement augmenté. Elle cite notamment les traitements, mais aussi la prise en charge qui s’est considérablement améliorée, grâce notamment à une meilleure connaissance de la maladie.
Pour preuve, elle cite des maladies que seules des personnes âgées contractent (prostate, soucis cardio-vasculaires), que seulement peu de patients hémophiles avaient auparavant. Elle, qui a connu l’époque où la maladie n’était pas très connue, en est presque navrée de partir en retraite dans une époque si riche en termes de nouvelles avancées autour de l’hémophilie.
“Si j’annonce un diagnostic aujourd’hui, je dirais aux parents que leur enfant naît dans une période plus que favorable.”
M-FR-00011871-1.0 – Établi en juillet 2024
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