Ils s’appellent Matthieu, Arnault, Laëtitia ou Jean-Michel.

Ils ont en commun de vivre avec une maladie : l’hémophilie. 

Dans la première saison de Singularité, ils acceptaient de nous parler d’eux, de leurs secrets et de leur quotidien, pas si différent du nôtre. 

Dans cette nouvelle saison, partez à la rencontre de Barnabé, Patrice, Nathalie. Des amis, des amants, des parents, des passionnés de voyages, de sports ou encore de la nature atteints d’hémophilie. Faites également la connaissance d’Annie, Steffi, Marion et Laurent. Les professionnels qui les guident et les accompagnent au quotidien.

Pour ces troisième et quatrième épisodes, nous nous attaquons à une thématique centrale de la vie avec l’hémophilie : celle de la douleur. Malgré les avancées médicales, hémophilie et douleur riment encore trop souvent. En France, on estime ainsi que deux personnes atteintes d’hémophilie sur trois souffrent de douleurs de manière quotidienne. Des douleurs qui ont autant d’impact sur la mobilité que sur le moral. 

Alors, comment faire face aux douleurs aiguës comme chroniques ? Quelles méthodes pour les soulager ? Et, surtout, comment éviter qu’elles ne définissent sa vie ? Patrice, atteint d’hémophilie de type A sévère, nous raconte comment la marche à pied et la randonnée lui ont permis de dompter cette invitée indésirable. De son côté, Annie Harroche, médecin pédiatre dans un centre de traitement de l’hémophilie à Paris, nous donne ses conseils pour mieux la gérer au quotidien. 

Bonne écoute !

Patrice – La philosophie de la marche 

“Des obstacles et des barrières, on en connaît tous. Mais quand on souffre d’hémophilie, on en a dès la naissance.”

C’est à Brest, dans une famille où l’amour de l’activité physique se transmet de génération en génération, que Patrice voit le jour. Son hémophilie n’empêchera pas son père de lui partager sa passion pour le sport et les valeurs qui y sont associées. Parmi elles : le dépassement de soi qui anime, encore aujourd’hui à 55 ans, cet ancien journaliste.  

Personne en pleine randonnée avec batons de marche | Singularité

Mais, c’est en 2013 que le sport prend réellement une place centrale dans la vie de Patrice. Après un problème au cœur, il prend la décision de perdre du poids. Étant limité dans les activités physiques pouvant lui convenir, et poussé par un de ses amis écrivains, il se met à la marche à pied. C’est une révélation. 

“Cette marche quotidienne me permet de rester en forme. Elle m’empêche de prendre du poids, de prendre du muscle et de protéger mes articulations. Surtout, elle produit des endorphines ! C’est un moment de bien-être sans nom. Rien ne m’arrête, même pas la pluie.” 

À la lecture de Chemin faisant, une nouvelle idée lui vient en tête : marcher sur les pas de l’auteur Robert Louis Stevenson (L’île au trésor, L’étrange cas du docteur Jekyll et M. Hyde). C’est décidé : il fera le GR70. Mais un tel projet ne se fait pas du jour au lendemain, cela demande de l’organisation. Alors Patrice se prépare. Physiquement et mentalement. Bivouaquer ne sera pas possible pour lui. S’installer puis se relever demanderait un système de poulie bien trop compliqué à mettre en place. Pas de problème, Patrice se reposera dans des gîtes au fil de sa route. Partir seul s’avère dangereux ? Sa famille et ses amis se relaient, tout au long des quatre semaines, pour l’accompagner. Un grand moment de partage et d’osmose avec ses proches et la nature.  

“Il fallait être intelligent, ne pas prendre trop de risques. Je ne voulais pas avoir à abandonner la randonnée, alors tout a été pensé en conséquence : j’ai fait plus d’étapes, avec une moyenne de 10 à 18 km par jour, je dormais dans des gîtes, j’utilisais des bâtons de randonnée, j’étais accompagné… C’est ce qui m’a permis de relever ce pari. Cerise sur le gâteau : je n’ai pas eu un seul problème hémophilique, 0 saignement pendant toute cette période !” 

Et s’il partage cette aventure avec ses proches, Patrice la documente également pour les réseaux sociaux de l’association que lui et sa compagne ont fondé : Hemo’fil’Obradoiro. Son but : rendre accessible aux personnes en situation de handicap la randonnée, notamment via l’achat d’une joëlette, un type de fauteuil roulant handisport. Un beau projet pour partager sa passion au plus grand nombre et leur permettre, à leur tour, de profiter des nombreux bienfaits de la marche à pied ! 

Annie Harroche – Parler, comprendre et traiter la douleur 

En tant que médecin, impossible de ne pas être confronté à la douleur des patients que l’on suit. Et si, bien sûr, les professionnels de santé tentent au mieux de l’éviter ou, tout du moins, de la soulager au maximum, ils sont souvent confrontés à un vaste enjeu : celui de sa prise en charge. 

Comment réussir à l’évaluer alors qu’elle est si personnelle ? Aider le patient à la verbaliser ? Éviter qu’elle ne devienne chronique ? Surtout, comment réussir à bien la prendre en charge pour l’éviter au maximum ? Voilà autant de questions auxquelles le docteur Harroche est confrontée au quotidien. 

“Parler de la douleur en consultation n’est pas systématique. Il y a parfois d’autres points qui sont abordés et alors cette question passe au second plan. Pourtant, elle a un réel impact sur la qualité de vie.”  

Pour cette spécialiste de l’hémophilie, il convient de distinguer deux types de douleurs : 

  • La douleur aiguë, celle qui apparaît lors des crises. 
  • La douleur chronique, celle qui se développe au fil des années, avec le développement de pathologies arthropathiques (les hémarthroses à répétition peuvent abîmer les articulations et les rendre douloureuses de manière continue). 

Deux typologies de douleurs différentes qui appellent une prise en charge spécifique. Ainsi, pour la douleur aiguë la réponse va être médicale, avec un traitement antalgique et anti-hémophilique. On pourra également venir la soulager en immobilisant l’articulation et en y appliquant de la glace. La prise en charge de la douleur chronique, quant à elle, peut représenter un challenge en elle-même. En effet, du fait de sa nature quotidienne, elle complique sa résolution. D’une part car elle impacte fortement le moral et la qualité de vie. De l’autre car elle peut entraîner une forme de tolérance élevée à la douleur. Le risque dès lors ? Que le patient développe une tolérance élevée à la douleur si bien qu’il ne soit jamais réellement et totalement soulagé. 

“La douleur est parfois tellement chronique, tellement forte que les patients développent une forme de tolérance particulièrement élevée. Ils pensent alors être soulagés dès qu’elle se calme un peu quand, en réalité, ils ne le sont qu’à moitié.” 

Que faire alors pour soulager cette douleur chronique ? S’il existe évidemment des traitements médicamenteux qui peuvent aider, la doctoresse appelle à la vigilance. Pas question ni de s’auto-médicamenter ni de créer de la dépendance. Ainsi, elle conseille, en complément : 

  • Les traitements alternatifs : balnéothérapie (soins par le bain), cryothérapie (traitement par le froid), TENS (stimulation nerveuse électrique transcutanée contre les douleurs neuropathiques). 
  • Les séances de kinésithérapie ainsi que des étirements spécifiques.
  • La pratique d’une activité physique adaptée, meilleur moyen pour maintenir un état musculo squelettique en bonne santé et donc protéger ses articulations mais aussi pour sortir, rencontrer des gens et améliorer l’estime de soi ! 

Enfin, le Dr. Harroche, nous prodigue un dernier conseil : que l’on soit patient ou professionnel de santé, il faut prendre le temps de parler de la douleur, d’évaluer son importance mais aussi son impact sur la qualité de vie. C’est le premier pas pour réussir à la soulager !

“On ne peut pas dissocier santé physique et santé mentale ! La prise en charge de la douleur, doit passer par la prise en charge de la douleur, mais aussi de ses conséquences psychologiques.” 


Envie d’aller plus loin ?

Téléchargez la fiche pratique « Gérer la douleur » pour savoir la reconnaître, l’évaluer, la prévenir et surtout en parler afin de la prendre en charge.

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